Christophe Brandt, le coureur pro
J’étais bon pour aider le top niveau
« J’étais en discussion avec Lotto et Mapei, les deux grosses formations belges, mais la suite logique voulait que je poursuive l’aventure italienne, et par respect pour ceux qui m’avaient fait confiance, j’ai signé mon premier contrat pro avec Saeco. Le projet était aussi plus concret à mon égard ». La bell’avventura pouvait enfin débuter pour le petit « liegioso ».
« Chez Saeco, j’ai directement été plongé dans le bain, sans ménagement, je découvrais un monde que je ne connaissais absolument pas, une autre culture, mais à refaire, je le referais sans hésiter ». Et pourtant, Christophe, seulement âgé de 21 ans, était le seul Belge du team, aux côtés de nombreux coureurs italiens, et des « Giganti », comme Mario Cipollini ou Paolo Savoldelli, des Allemands et heureusement des Suisses, dont le francophone Laurent Dufaux.
« Paradoxalement, la configuration de l’équipe m’a alors permis de prendre part à des épreuves flandriennes ou à Paris-Roubaix, alors que dans une équipe belge de haut niveau, je n’aurais pas été sélectionné ». Au sein de la Saeco, Christophe se fait un nom !
Et si Corti (Claudio Corti était le manager de l’équipe) offrit le premier marchepied du train pro au jeune beynois, celui-ci regagnera la Belgique la saison suivante : « Parce que Claudy me l’a proposé ». Claudy Criquielion, l’idole de jeunesse… Claudy auquel Christophe n’aurait rien su refuser. « Pour moi, après Merckx, Claudy, c’était LA référence belge, avant l’avènement de Museeuw, je n’ai donc pas hésité un seul instant à rejoindre la formation Lotto où il était directeur sportif ». Le groupe Lotto auquel Christophe restera fidèle jusqu’à la fin de sa carrière de coureur.
McEwen and Evans, deux leaders, deux sentiments
« Cette fois, ce qui m’était proposé en termes de programme correspondait bien plus à mes qualités : autant courir avec Saeco m’avait permis de participer à des épreuves pour « flahûtes », autant chez Lotto, on me donnait l’opportunité de courir de suite dans des grands tours, le Giro dès la première année ». Le meilleur résultat final, sur un grand tour, c’est d’ailleurs sur le Tour d’Italie que Christophe le réalisera en 2004, en finissant à la 14e place. Deux ans après une belle 35e place au Tour de France.
« Gagner, c’est ce qui est le plus grisant…je peux le dire car je n’ai pas gagné souvent (rires) ». Chez les pros, une seule fois en individuel, la Course des Raisins, à Overijse (2002). Mais Christophe Brandt fut un des artisans clefs de bien des succès de ses leaders chez Lotto. « J’ai fait le choix d’être un acteur de ce qui se faisait de mieux sur la planète cyclisme, comme le Tour de France. Et j’ai pris bien plus de plaisir que je ne l’aurais eu comme leader d’une équipe de seconde zone, sans être péjoratif, je vibrais au contact du haut niveau: je peux même affirmer que j’étais bon pour aider le top niveau ». Avec bien des émotions à la clef, en particulier lorsqu’il a aidé Robbie McEwen à remporter le maillot vert à trois reprises…s’il vous plait.
« Il y a une étape en particulier qui traduit à la perfection cette émotion et l’incroyable investissement de l’équipe à son service…l’étape qui menait à Montpellier, sur le Tour 2005 ». 13e étape de la Grande Boucle, entre Miramas et la capitale héraultaise. Avant d’attaquer le massif des Pyrénées, Armstrong a déjà assommé la concurrence dans les Alpes et Robbie a déjà gagné à Montargis et Karlsruhe… « Physiquement, j’étais vraiment bien, à mon meilleur niveau… ce jour-là, le staff pensait que l’étape allait sourire aux baroudeurs ; il y avait une échappée de neuf coureurs, avec neuf minutes d’avance, tout coïncidait. Et puis, comme un seul homme, avec tout le groupe (et notamment des gars comme Mario Aerts, Johan Van Summeren, Wim Vansevenant ou Leon Van Bon), les yeux brillants, le couteau entre les dents, on a décidé, sans l’accord de nos directeurs sportifs, de mettre la machine en marche, pour permettre à Robbie d’encore gagner. La dernière chance… Et on a bien failli rater le coche, car après les avoir repris, Sylvain Chavanel et un autre coureur ont contré. C’est alors qu’Armstrong, reconnaissant parce qu’il n’avait pas dû faire rouler son équipe grâce à notre forcing, a envoyé ses gars rechercher les fuyards ». La suite est assez limpide : la Discovery Channel effectuera les trois derniers kilomètres à bloc, avant de laisser à Davitamon-Lotto le soin de parachever le travail. « Et on parvient même à faire le doublé, puisque Robbie devance l’Américain Fred Rodriguez, qui était alors son poisson-pilote. A l’arrivée, Robbie a déclaré, « c’est moi qui ai gagné, mais ce sont eux qui ont tout fait »… Humainement, ce jour-là, on a tous vécu un moment très fort, bourré d’émotions, et on en parle encore parfois avec Mario ».
A contrario, au rayon des émotions sportives, les lourdes déceptions font aussi partie de la carrière… « Et la perte du Tour 2008 a été difficile à encaisser ». Tout un programme d’équipe avait été élaboré autour de l’autre leader australien de Christophe, Cadel Evans (photo Alisson Thimister). Le Liégeois avait déjà côtoyé l’ex-champion du monde de VTT au sein de l’équipe Saeco. « Ce fut d’autant plus difficile à digérer que pour atteindre cet objectif, on a véritablement vécu ensemble, un petit groupe autour de Cadel, entre le mois de mai et les Jeux Olympiques. Je me souviens n’avoir été présent que cinq jours à la maison…stages, reconnaissances d’étapes, courses, énormément d’investissement pour une immense déception au bout du compte ».
Malgré l’incroyable numéro de Carlos Sastre dans l’Alpe d’Huez, Evans, porteur du maillot jaune dans les Pyrénées, avait tout en main pour porter l’estocade dans le dernier chrono de St Amand-Montrond, mais… « Cadel a perdu tous ses moyens ce jour-là ». Il ne reprendra que 29 secondes à l’Espagnol, et échoue à la deuxième place finale à Paris, pour la seconde année consécutive. Il prendra sa revanche trois ans plus tard… « Une si belle aventure qui se termine sur une telle fausse note, même si on avait rien à regretter : cela fait partie du sport, et on l’a vécu tous ensemble… »
La Coupe Sels pire que l’exclusion…
Christophe a pour ainsi dire rejeter cette malheureuse expérience du Tour 2004 aux oubliettes, et la coupe Sels n’y est pas étrangère. « Cela peut paraitre surprenant, mais mon exclusion du Tour de France m’a fait grandir, là où ma chute à Merksem m’a diminué ».
Le 10 juillet 2004, avant la première des étapes bretonnes, Christophe est exclu pour un contrôle positif à la méthadone. Il sera ensuite blanchi par la RLVB : Christophe avait pris des gélules autorisées, sans savoir qu’elles contenaient la molécule incriminée. « Sur le coup, tu le vis très mal : d’abord, cela coûte beaucoup d’argent pour se défendre, et bien sûr on te considère comme un tricheur, alors qu’au fond de toi, tu sais que tu fais ton métier correctement, que tu n’as pas franchi la ligne ».
A l’époque, Christophe a 26 ans et cette mésaventure va lui forger sa personnalité, celle qui lui donne aujourd’hui la force de relever tant de challenges. « Humainement, cet épisode de ma vie m’a poussé à faire le tri autour de moi…la comparaison vaut ce qu’elle vaut, mais c’est comme tous ces gars qui me faisaient la morale lorsque je vidais une bière à l’occasion, alors que les mêmes en buvaient tous les jours… Au bout du compte, face à cette critique sans fondement, je me suis dit « Qui êtes-vous pour me juger », donc oui cet épisode malheureux a aidé à m’affirmer, grandir…ce qui n’a guère été le cas de mon accident à la Coupe Sels ».
29 août 2006, après seulement cinq kilomètres de course, une chute collective précipite Christophe au sol. Le bilan est atroce : déchirure d’une artère rénale, qui lui coûtera un rein, éclatement de la rate, quatre côtes brisées, pneumothorax, et fracture de l’humérus. Jamais le Liégeois n’a été autant meurtri dans sa chair. Et il sera placé plusieurs jours dans un coma artificiel. « Je me souviens : je me réveille un jour, je vois ma mère et ma femme, complètement décomposées, je ne comprends pas de suite… « cela fait quatre jours que tu ne t’es pas réveillé », me disent-elles… Là, tu prends un sacré coup sur la tête, pire encore que la douleur physique, tu te rends compte que juste pour faire ton métier, tu as fait souffrir les personnes que tu aimes… ». Pourtant, Christophe n’était pas une tête brûlée et… « tu n’imagines pas que cela puisse arriver, malgré avoir conscience des risques que tu prends ».
Malgré tout, la vie cycliste reprend inexorablement son cours : « Tu veux quand même remonter sur le vélo, parce que tu sens que tu en as besoin ! ». Ce n’est pas une remise en question qui l’anime, mais une envie de revenir, de prouver qu’il peut retrouver son meilleur niveau. « Pourtant, je n’y arriverai pas…alors qu’à l’époque, la mise à jour des scandales du dopage avait permis de faire un beau nettoyage : il y avait donc de la place en quelque sorte…cela demeurera finalement le seul regret de ma carrière, de ne pas avoir su la terminer à 100% de mes capacités. Je me voyais encore rouler deux-trois ans de plus ». (Photo Nathalie Lbn)
Plus encore, Christophe aurait aimé rouler dans une période de cyclisme offensif… « comme on peut le vivre aujourd’hui… Quand je vois les anciens qui roulent actuellement, comme Valverde, ils le font toujours avec le même état d’esprit qu’avant, et ils restent performants, franchement j’aurais voulu vivre cela ».
A l’âge de trente ans déjà, le glas de la fin de carrière commence donc à sonner un peu dans la tête du coureur Lotto. « J’hésitais entre rester et quitter le milieu, débuter une nouvelle expérience dans un autre domaine, mais une chose était certaine, il me fallait un challenge et un projet diversifié. Et surtout conserver ce sentiment de liberté que me procurait le vélo, hors de question que je me laisse enfermer dans un train de vie monotone, un « 8-16 » dans un bureau…je me serais senti emprisonné ».
A la fin de l’année 2010, alors que se termine son contrat, Christophe se casse la clavicule : cela précipite sa fin de carrière, « …et cela a mûri très vite dans ma tête ».
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