Christophe Brandt, le manager et organisateur…
Je voulais être décisionnaire
C’est souvent une constante, la transition entre les deux volets d’une vie n’est pas un long fleuve tranquille, et pour Christophe, malgré la perspective concrète de projets, elle s’est apparentée, durant plusieurs semaines, comme une sorte de dépression. « J’ai arrêté au Tour de Lombardie et les jours qui ont suivi, comme de coutume à la fin d’une saison, on a un peu fait la fête, d’autant plus que je prenais ma retraite, mais comme j’étais toujours sous contrat jusqu’à la fin de l’année, et qu’il n’y avait plus de compétition, je ne pouvais toujours pas m’engager ailleurs, et donc je n’avais plus rien à faire, et c’est vraiment pénible ! ».
Il est vrai que Christophe passait d’une vie ultra organisée à l’absence d’activités (en dehors de la vie de famille) : « Tu n’es pas sensé remonter sur le vélo, mais tu le fais quand même, parce que tu n’as rien à faire d’autre, et très vite, tu te demandes si tu as bien fait d’arrêter ». (Photo Alisson Thimister)
Christophe prend conscience qu’il ne faut pas lanterner et rester à ne rien faire : « Pendant quinze jours, j’ai rattrapé le temps perdu à voir des potes, faire une bouffe à droite à gauche, mais tu te rends compte aussi que tu ne saurais pas profiter de cette manière indéfiniment, d’autant que les autres, ils bossent. Cela a été difficile durant deux mois, et puis dès l’entame de l’année suivante, j’ai très vite accepté plein de propositions pour être actif ». (Photo Jean-Claude Martin)
La trace d’Yves Vanassche
En parallèle, s’engagent des discussions avec la direction de Lotto et les premiers contacts avec Yves Vanassche, la patron du Tour de la Région Wallonne. « J’avais peur de devenir directeur sportif car cela signifiait que j’allais de nouveau repartir sur les routes, alors que nos filles avaient neuf et trois ans. Et puis, être « simple » directeur sportif, ce n’était pas mon premier choix : j’avais envie d’être décisionnaire ».
De son côté, Yves Vanassche propose à Christophe de s’occuper du premier CFCF, le Centre de Formation pour Cyclistes Francophones (photo Rudy Rouet). « Prendre tout en charge de A à Z, cela m’a directement plu, d’autant plus que c’était un véritable défi : une strate du cyclisme que je ne connaissais pas, mais pour laquelle je me sentais capable d’être à la hauteur. Oui, c’était accessible… Je faisais une pierre, deux coups : un pied dans le sportif, l’autre dans l’organisationnel ».
Pour autant, être directeur technique du centre ne remplissait pas les journées de Christophe. « J’allais chercher les filles à l’école…ce fut une sorte de transition douce en fin de compte »
Il n’aura fallu attendre qu’un an pour que l’esprit de compétition titille à nouveau les méninges de l’ancien coureur : « J’avais envie d’aller plus loin et créer une équipe ! De nouveau, pour tout gérer moi-même : les coureurs, les entraînements, etc. Le pauvre Yves, je lui ai vraiment cassé les pieds par mon entêtement… Il a fini par céder, mais à condition que je trouve des sponsors, et hop, un nouveau challenge excitant s’offrait à moi… challenge devenu une fierté au fil du temps, malgré les difficultés et les embûches ».
Prendre les rennes du TRW
La formation des jeunes, la direction d’une équipe, l’appétit vient en mangeant et Christophe tend une troisième corde à son arc, celle de l’organisation de course. « Là, c’était vraiment le plongeon dans l’inconnu pour de bon, et j’apprends toujours aujourd’hui… heureusement, je suis tombé dans une organisation déjà bien huilée grâce aux Vanassche et leur entourage ».
C’est le décès de François Vanassche (alors responsable communication de l’équipe, il décède en février 2011), le fils d’Yves, qui précipite les choses : « Je débutais mon projet sportif et cet immense malheur tombe sur les épaules d’Yves… J’avais roulé chez les jeunes avec François et de manière presque naturelle, Yves m’a considéré en quelque sorte comme un fils de substitution…il me confiait énormément de tâches et de missions jusqu’à ce qu’il me demande de prendre sa succession à la tête du TRW ».
Yves Vanassche (photo Jean-Marc Hecquet), déjà accablé par le chagrin, tombe malade, à la fin de l’année 2015 : « J’ai été propulsé aux rennes de cette vaste entreprise, alors que je n’étais pas préparé… J’étais bien entouré, j’avais aussi beaucoup de soutien de l’extérieur, mais au final c’est sur moi que reposait cette énorme responsabilité : il a fallu se débrouiller. Depuis le début de cette aventure, c’est probablement l’organisation de cette édition 2020 qui en est le meilleur exemple : franchement, c’était la merde (sic), mais au final, on l’a fait et c’est une fierté ! J’y ai retrouvé mon état d’esprit de sportif, et bizarrement cet écueil a fait « challenger » tout le bureau, ce qui ne s’était jamais produit, car c’était une machine dont le moteur tournait en ronronnant… Il faut dire que les moyens étaient bien plus importants à l’époque d’Yves, il a donc fallu se retrousser les manches ».
Se réinventer, organiser a minima, avec moins de sponsors…les données de l’équation, « …mais je trouve qu’au final, le résultat extérieur a bien donné. Les membres de l’équipe ont été valorisés parce qu’on a prouvé qu’on était capable d’organiser une manifestation dans une période plus que compliquée (cfr covid) : cela a permis de créer une sorte de base pour la suite, pour faire évoluer cet aspect de l’organisation ». (Photo d’Arnaud Démare, vainqueur de cette édition 2020)
Et avec l’équipe du TRW, c’était neuf : « J’avais déjà eu ce type de retour dans le projet sportif, cette habitude de travail avec des gars qui savaient relever des défis, comme « Toto » (Christophe Detilloux), Olivier Kaisen, et désormais comme Sébastien Demarbaix: ils ont conscience qu’ils n’optent pas pour la facilité, qu’ils ont un vrai rôle à jouer, pas seulement conduire une voiture…les anciens sportifs, ils ont envie de réussir des choses, et nous, on est capables de leur donner dans de petites structures ».
Faire du TRW organisation, un produit « clé sur porte »
Conscient qu’il ne sera pas capable de faire cela durant quinze ans, Christophe souhaite, avant de pouvoir lever le pied, rendre les deux structures pérennes : donner un bon encadrement aux jeunes et faire du TRW une sorte de produit fini, « clef sur porte ».
« Nous ne sommes plus à l’époque dorée des courses cyclistes. Et dorénavant, il faut qu’on parvienne à parler ensemble, mais pour faire bouger les choses, il faut le faire comprendre aux anciens organisateurs, à ceux qui se montrent parfois têtus : arrêtons de nous faire la guerre, nous ne sommes pas des concurrents. Créons des associations ».
Yves Vanassche avait créé un vrai mastodonte avec son tour, en Wallonie, « et il était particulièrement bien soutenu… Aujourd’hui on l’est moins, c’est peut-être plus sain, mais on continue à faire peur à certains, alors que j’estime être beaucoup plus ouvert. Nous sommes une asbl, lorsque je facture à un sponsor, je ne touche pas un franc de plus ».
Christophe juge que sa structure doit être à même de pouvoir organiser le Tour de Namur ou de Liège par exemple, « peut-être une dizaine de courses par an, parce qu’on possède un bureau capable de le faire ». Un mini ASO ? « Oui, mais en beaucoup moins commercial…il faut réfléchir de manière collégiale, et pour cela, il est nécessaire que les organisateurs de courses amateurs s’ouvrent un peu, car seuls ils n’y parviendront plus dans un avenir proche ». Pour Christophe, dans leur manière de fonctionner, ils n’attirent plus les jeunes… et moi j’ai envie d’être ce déclencheur. Que je puisse, avec mon expérience, attirer une nouvelle génération ».
Christophe désire, par exemple soutenir l’organisation du célèbre Tour de Liège (course pour espoirs et élites sans contrat, qui vient d’être reprise par le CC Hawy)… « je ne veux pas le reprendre en tant que tel. Juste que notre organisation, qui est rôdée en la matière, puisse, par exemple, émettre les demandes de passage du parcours aux mandataires locaux, ou d’autres tâches qui permettraient d’alléger le travail des organisateurs, mais cela prend un temps fou pour les convaincre ».
Selon Christophe, l’évolution de l’équipe cycliste a été plus évidente (photo Didier Fourez) : « il faut dire que l’on partait d’une page blanche aussi, et qu’on est dans un groupe qui a envie d’évoluer ; on prend des avis extérieurs, désormais on travaille avec un diététicien, des modes d’entraînement qui relevaient autrefois d’initiatives personnelles, et que l’on intègre dans notre dynamique, car on s’est rendu compte que c’était important ». Chaque année, le groupe travaille sur une thématique pour la saison suivante et évolue donc pas à pas. « Nouvel exemple avec le confinement : on a réfléchi à la manière d’exploiter la situation et on a mis un protocole au point qui a porté ses fruits dès la reprise… on a pu constater que nos coureurs avaient un bon niveau. C’est valorisant pour tout le monde, même grisant, car on sait qu’on va pouvoir le réutiliser à l’avenir. Mais on ne peut y parvenir qu’avec des personnes qui veulent bien évoluer, qui ne sont pas immobilistes…
Quand tu entends Robert Delbovier (le précédent organisateur du Tour de Liège) te dire, « Allez Christophe, on a toujours fait comme ça… », c’est le genre de phrase bateau qui me fatigue… Nous avions créé le concept de la Lotto Wallonia Cup, un challenge de courses wallonnes. Nous étions parvenus à convaincre la Loterie de s’engager, en contrepartie d’une belle visibilité, notamment sur podium. Nous gérions toute la partie logistique, le matériel, le visuel, etc. les organisateurs de la Flèche Ardennaise ont su saisir la balle au bond et cela a permis de les faire évoluer, avec une belle arrivée, un petit espace VIP, etc., c’était l’effet escompté ». Même proposition pour le Tour de Liège, « et ils ont réussi à installer la bâche de sponsors n’importe comment, sans se soucier de l’effet rendu. Le but était de fidéliser ce sponsor avec un beau programme de courses, mais malheureusement lorsque tu tombes sur des personnes pour qui cela ne revêt pas d’importance, ou qui ne veulent pas évoluer, c’est décourageant, voire chronophage. Ils se tirent une balle dans le pied, car pour cette raison, ils risquent de disparaitre. Ceci dit, il y a surtout de très belles rencontres ». (Photo Mohammed Dehbi)
« Un immense stress au quotidien »
En faisant le compte de de l’ensemble des activités, en ce compris les coureurs espoirs qui n’ont pas de contrat à proprement parlé, c’est une soixantaine de personnes qui gravitent autour de celles-ci. « Notamment dix personnes à temps plein dans l’équipe, deux secrétaires, cinq directeurs sportifs, cinq personnes full-time pour le TRW. Auxquelles il faut ajouter des soigneurs, mécanos, entraîneurs, médecins qui travaillent à la journée ».
Une fierté ? « Non, c’est plus un immense stress au quotidien, car tu es responsable de tout ce monde, c’est toi qui dois ramener les budgets, qui dois trouver les partenaires nécessaires pour qu’ils aient du travail et qu’ils soient payés à temps ». Bien plus de stress qu’à l’époque où il courait : « ça n’a rien à voir…la dernière fois que j’ai vraiment stressé comme coureur, c’était au départ du championnat du monde espoirs. Oui, tu peux être un peu plus nerveux au départ du Tour ou de Liège-Bastogne-Liège, parce que tu as envie de bien faire, mais après, tu gères…par contre, le stress aujourd’hui est bien plus élevé, à ne pas savoir dormir parfois. Tu maîtrises moins les éléments, il y a des paramètres qui ne dépendent pas de toi et de ta volonté à bien faire les choses ». (Photo Luc Geerts)
Photo Jean-Marie Bernard Photo Liège aide Haïti asbl Photo Maxime Segers
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