Ludivine Henrion, la concrétisation d’un rêve de cyclisme 100% féminin en Wallonie
Exceptionnel de faire partie d’un projet d’une telle envergure dès la première année
Ottignies-Perwez, le pied à l’étrier
Avant de pouvoir concrétiser son projet pour le cyclisme féminin, en Wallonie, Ludivine a été contrainte de ronger son frein. Malgré les six ans de contrat dont elle avait bénéficié auprès de l’ADEPS, et le programme de reconversion que ses responsables avaient imaginé pour les sportifs de haut niveau; malgré un projet très élaboré sur lequel elle avait bossé, la communauté française n’a pas suivi. Résultat des courses, en janvier 2013, plus de salaire, l’ex-championne se retrouve au chômage. « C’était une sale période quand même…je me sentais inutile, même si j’étais déjà enceinte. Je voulais vraiment faire quelque chose de ma vie, et du coup, j’ai postulé, et j’ai été travailler chez Décathlon, jusqu’à mon accouchement…mais je ne voulais pas poursuivre là, je voulais aussi valoriser mes études d’éducation physique, et rester si possible dans le milieu cycliste ».
Et puis. 19 décembre 2013. « Les dirigeants de l’équipe Ottignies-Perwez, qui lançaient une équipe élites-espoirs, m’ont contacté pour m’engager à temps plein et devenir leur entraîneur et préparateur physique: évidemment j’ai accepté, car je pouvais enfin mettre mon diplôme en valeur, et c’était un boulot avec lequel j’avais l’opportunité d’agencer mon temps, en fonction des enfants, du petit à ce moment-là. J’allais aux entraînements, aux courses… Au début, j’avais quand même un peu peur, car je devais prendre en charge des gars qui étaient parfois plus âgés que moi, je me retrouvais dans un milieu à 100% masculin, qu’allaient-ils pouvoir dire… et en fin de compte, j’ai eu un très très grand respect de tout le monde. C’était très positif ». Ludivine grandit au sein du staff, prend de l’importance, jusqu’à 2019, l’année avant le covid (photo avec Matthias Houlmont).
De la FCWB à Bingoal Ladies
C’est alors la fédération francophone de cyclisme qui se manifeste. « En mars, je rencontre Fernand Lambert, qui m’annonce que la fédé voudrait développer un projet féminin et désire que ce soit moi qui m’en charge. J’étais aux anges, mon ancien projet remontait à la surface, même si ce qu’on me proposait n’avait pas l’ambition de ce que j’avais imaginé à l’époque: moi je voyais du cyclisme féminin de compétition, dans les loisirs, à l’école. Diversifié au point que je savais que j’aurais du me couper en quatre par moments ».
Pour le plus grand bonheur des filles, Ludivine commence par encadrer les entraînements et préparer les championnats, les courses des affiliées de la FCWB. Avant la pandémie, mais aussi pendant. « On avait sorti les fameux maillots roses avant le covid. On m’avait laissé carte blanche et je pouvais créer un maillot 100% féminin. Je me souviens avoir fait une petite vidéo de présentation, et c’est dingue l’impact que cela avait eu, l’enthousiasme autour de ce maillot, comme une sorte de reconnaissance qui arrivait enfin. La vidéo avait fait des milliers de vues. Et puis le covid est inévitablement venu freiner le projet ».
L’enthousiasme autour des filles; l’intérêt décroissant des garçons dans le club, tous les facteurs étaient là pour lancer le projet « Bingoal Ladies », avec Luc Mayné, le président du club ottintois, devenu Veranclassic-Ago. « A la base, on ne voulait pas spécialement faire une équipe, puisqu’on avait aucun sponsor, à part Belisol, pour nous soutenir. On avait toutefois le soutien de la ministre des sports, Valérie Glatigny. Et lorsque Christophe Brandt a entendu parler de notre projet, il s’est de suite montrer intéressé pour compléter la structure qu’il avait mise en place avec les garçons, pros, espoirs et paracyclistes. J’espérais juste un petit soutien de sa part, mais j’ai eu bien plus en nous intégrant dans le large projet « Wallonie-Bruxelles » . C’était exceptionnel de pouvoir faire partie d’un projet d’une telle envergure dès la première année », d’ailleurs, les filles n’y croyaient pas, elles allaient rouler avec le même maillot que les pros ».
Ce projet Bingoal Ladies intervient au moment où le cyclisme féminin semble enfin prendre son envol et intéresser le grand public. « Grâce à la retransmission télévisuelle des courses, c’est le gros boom en effet, bientôt le premier Tour de France féminin, les classiques qui se féminisent, etc., c’est évident que c’était le moment idéal pour le faire, d’autant qu’avant en Wallonie, c’était le désert complet. L’année avant qu’on ne crée le projet, il y avait seulement sept affiliées à la FCWB en dames élites, et l’an dernier, on en avait presque trente… ».
Grandir pas à pas, pour les Wallonnes
Ludivine peut-elle imaginer aller plus loin encore et concrétiser entièrement ce qu’elle avait imaginé sur papier ? « Le but est en tous cas de faire grandir encore ce projet, mais de manière progressive. Certains voulaient qu’on passe déjà en continental cette année, mais nous ne sommes pas prêtes, les filles n’ont pas encore suffisamment le niveau pour rivaliser avec les autres sur des courses 1.1 ou 2.1…si c’est pour en avoir cinq à chaque fois dans le dernier groupe, et pas une devant, cela ne m’intéresse pas. Trouver l’argent pour le projet, tout est toujours possible, mais il faut d’abord progresser sportivement, avec les coureuses wallonnes. Et créer maintenant une équipe continentale, en engageant des coureuses flamandes ou étrangères, ce serait condamner les Wallonnes qui n’auraient pas leur place. Pour moi, ça fout le projet en l’air, la philosophie de départ ne serait plus respectée. On pourra se permettre de le faire, une fois qu’on aura des Wallonnes qui seront à ce niveau. Et pas avec deux ou trois ». (photo avec Delphine Thirifays)
Ceci étant, la machine est bel et bien en route, et le projet attire de nouveaux visages: » Sur les deux dernières années, nous sommes parvenues à attirer une dizaine de filles, c’est pas rien. Des filles qui roulaient déjà avant, mais qui sont passés à la compétition grâce à notre projet. Exemple avec l’une d’entre elles, Louise Jacquemin, qui nous a rejoint en décembre 2020: d’habitude, on les teste pendant plusieurs entraînements, et là rien qu’en analysant ses performances sur strava, j’ai su qu’il n’était pas nécessaire de la tester, qu’elle était déjà physiquement prête…peut-être a-t-on l’impression qu’on en prend trop, mais je n’ai pas envie de passer à côté d’un diamant brut, où il suffirait simplement d’un bon encadrement pour la faire progresser. On se plantera peut-être vingt fois, et la 21e, on sortira la pépite ».
En marge de ce projet chronophage mais enthousiasmant, Ludivine prête volontiers ses commentaires et ses analyses, comme consultante à la RTBF, depuis que le service public a décidé de retransmettre certaines courses féminines. « En 2014, ils m’ont contactée lorsqu’était organisée pour la première fois la course d’ouverture de l’arrivée du Tour à Paris, « La Course by le Tour de France » (ndla: dont la première édition a été remportée par Marianne Vos devant une de ses autres anciennes équipières, Kirsten Wild), j’ai de suite accepté car c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire… J’ai raté une seule année pour la course parisienne… mais franchement, c’est génial, toutes ces courses maintenant qui sont retransmises, quelle belle publicité pour les filles, c’est ce qui manquait, la médiatisation. Avant, l’excuse, en Belgique, était de dire qu’il n’y avait pas de Belge capable de gagner des grandes courses, raison pour laquelle, il n’y avait pas de couverture télé, mais quand Grace Verbeke a gagné le Tour des Flandres, ce n’était toujours pas le cas, et pourtant elle faisait partie des dix meilleures mondiales… Grâce à l’action de l’UCi et d’ASO, on a désormais passé un cap ».
Une telle médiatisation (Tipik retransmet toutes les classiques belges cette année, avec Martin Wijnants au commentaire) peut aussi préparer l’avenir et opérer un attrait auprès des petites filles. « Maintenant lorsqu’on parle de Lotte Kopecky à des filles qui font du vélo, elles savent qui c’est…même mes enfants (rires »).
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